Le 27 Janvier 2011, nous avons demandé à quelques personnes présentes à l'arrivée du télé-club de venir nous apporter leur témoignage.
Nous avons reçu ce jour là, Raymond Malézé, Serge Godard, Monique Dupuy Liron, et Bernard Jobert. Ce qui nous a marqué avant toute chose, c'est l'émotion avec laquelle ils parlent de l'évènement et surtout de leur maître d'école, Alfred Beaufort qu'ils tiennent en haute estime.
L'école
Les anciens camarades d'école se retrouvent ensemble, dans leur salle de classe d'alors ; et les souvenirs jaillissent :
«Rappelle toi, Raymond, tu étais un spécialiste des tours de cour.
- Ah oui ! J'en ai fait des tours ! Et c'était l'occasion de prendre mes responsabilités ! La cour se confondait avec la place publique ! Je n'étais pas fier d'y croiser les gens du village !
- On avait un tableau au mur, qui planifiait les travaux de chaque groupe. Certains s'occupaient de faire les relevés météo, d'autres du ménage, des corvées de bois, du remplissage des encriers, des travaux d'imprimerie, ...
- Nous réalisions ensemble un journal scolaire, Sur la Dhuys, et plus tard, un programme de télévision.
- Des textes libres devenaient, après un vote, des articles du journal.
Avec Monsieur Beaufort, nous étions tous impliqués dans la vie de l'école : coopérative scolaire, compétitions sportives, spectacles, chorale, voyages en car, ...
- Ça remuait, ici ! A Château (-Thierry), ils n'avaient pas tout ça ! Au cours de nos sorties éducatives, nous emportions avec nous un magnétophone pour faire des reportages.
- En classe, on enregistrait nos lectures à haute voix. Une fois, je me suis rendu compte que je commençais toutes mes phrases par «et..., et...». Avec le magnétophone, j'ai pu me corriger.
- Le jeudi, qui était alors le jour de congé hebdomadaire pour les scolaires, on passait l'après-midi à l'école pour des activités manuelles. Même pendant son jour de congé, Monsieur Beaufort s'intéressait à nous. Il prenait soin de nous. Il nous "maternait".
- Madame Beaufort participait également : elle s'occupait entre autre, de l'atelier couture, et sa porte était ouverte à tout le monde.
- Les méthodes de Mr Beaufort étaient copiées par de nombreux instituteurs du secteur.
- Mr Beaufort nous aidait à nous rendre à nos examens de certificat d'étude. Une fois, je me souviens ; on tenait à 6 dans une Simca 5 (deux places et un toit ouvrant).
- quand on était reçu au certif', on lui faisait un cadeau (utile), en prenant conseil auprès de Mme Beaufort.»
Serge G. ajoute :
«Alfred, ça a été ma vedette ! (...) C'était une école 5 étoiles ! Ce n'est pas étonnant que la télévision soit arrivée si tôt (dès 1951) à Nogentel ! »
La genèse
« D'après vous, de qui est venue l'idée d'acquérir un téléviseur ?
- Il me semble que c'est Alfred Beaufort qui a eu l'idée en voyant un poste de télévision dans une vitrine.
- moi, je ne savais même pas ce que c'était, la télévision.
- Il nous a expliqué que c'était comme la radio avec l'image en plus. Un écran, un bouton pour allumer, une antenne, ... et une image.
- Il s'est toujours intéressé à la télévision et à ses progrès.
- Ses relations avec Roger Louis (il était souvent invité à sa table) lui ont permis de développer cette idée.
- L'installation d'un poste de télévision dans la classe était déjà envisagée.»
L'essai
« On se souvient des frères Fremont arrivant un beau jour avec un drôle de matériel.
- L'antenne nous a impressionnés !
- j'étais dans la classe, un oeil sur l'écran, et je communiquais par la fenêtre, à ceux qui réglaient l'antenne, la qualité de l'image « y a rien », « ah si ! », « une image ! »
- Quand on allumait le poste, l'image ne venait pas tout de suite. »
Fonctionnement du télé-club
« Comment fonctionnait le télé-club ?
- Il y avait une séance, uniquement le samedi.
- Les tables restaient en place. Les élèves installaient des bancs au fond et sur les côtés de la classe.
- Les séances étaient payantes. Deux élèves tenaient une caisse à l'entrée. Des tickets étaient également disponibles à l'achat le reste du temps.
- La salle était comble à chaque séance. Parfois, certains restaient debout.
- Des spectateurs venaient des communes voisines.
- Roger Louis était présent aux premières séances.
- On fabriquait les programmes et on les distribuait.
- Ah oui, et il fallait sonner avant de mettre le papier dans la boite aux lettres. !
- Le programme du soir était également écrit sur un tableau accroché à la grille de l'école.
- Y avait-il des pannes ?
- C'était rare et ça venait souvent de l'émetteur
- Les frères Frémont venaient souvent contrôler ou régler l'installation.
- Quelle était la place du débat après l'émission ?
- Il n'y avait pas de débat, simplement, Alfred Beaufort recueillait l'avis des spectateurs sur ce qu'on venait de voir car il devait fournir chaque semaine à la RTF un rapport de qualité et de fréquentation.
- Nous, les enfants, on ne disait rien le samedi soir, mais notre instituteur nous donnait l'occasion d'en débattre, le lundi matin, à la place du cours de morale.
Rue Cognac-Jay
- Certains d'entre vous êtes allés rue Cognac-Jay. Pourquoi ?
- D'abord, les élèves désignés pour ce voyage étaient tout simplement des enfants de cheminots. Ça limitait les frais de transport.
- On a participé à une emission en direct, le matin à 10h : "La télévision à l'école"
- On avait emmené des dessins.
- L'émission était suivie par nos camarades, à Nogentel.
Le tableau, que nous avions fait en 2008, donne une idée du prix des choses. On observe que, mis à part le pain, le coût en temps de travail a nettement diminué, surtout pour le téléviseur. En 1951, la télévision était au stade embryonnaire.
En 1951 | En 2008 | |||||||
anciens francs | nouveau francs | en euros | équivalence temps de travail en heure | en NF | en euros | équivalence temps de travail en heure | comparaison en % | |
SMIC horaire | 100 | 1 | 0.15 | 56.61 | 8.63 | |||
journal l'Union | 12 | 0.12 | 0.02 | 0.12 | 5.25 | 0.8 | 0.09 | 77% |
timbre poste | 15 | 0.15 | 0.02 | 0.15 | 3.61 | 0.55 | 0.06 | 42% |
kg de pain | 35 | 0.35 | 0.05 | 0.35 | 26.24 | 4 | 0.46 | 132% |
kg rosbeef | 240 | 2.40 | 0.37 | 2.4 | 78.71 | 12 | 1.39 | 58% |
1 petite auto (2cv/logan) | 280000 | 2800 | 426.86 | 2800 | 59.036 | 9000 | 1042 | 37% |
un téléviseur | 110000 | 1100 | 167.69 | 1100 | 5903 | 900 | 104 | 9% |
actions | 500 | 5 | 0.76 | 5 |
- Vous souvenez vous de l'arrivée de la télévision a Nogentel ?
- D'abord, il y a eu une réunion du conseil municipal afin de savoir qui était pour et qui était contre.
Je me souviens des gens du village très très curieux, surtout les enfants, mais sans trop savoir si ça allait leur plaire ou non. Mais la curiosité l'emportait et les poussait encore plus.
Les gamins, eux entouraient les frères Frémont installant cette grande antenne.
- Avez-vous profité des émissions faites pour l'école?
- Non, les enfants de ma classe étaient trop petits ( je les prenais à partir de 3 ans et demi, et j'ai eu jusqu'à 54 élèves, Mr Beaufort : 45 élèves. Où aurions nous mis tous ces élèves ? Et puis l'âge n'étant pas le même, toutes les émissions ne convenaient pas à tous ...
Il y avait tant de spectateurs aux premières séances qu'on aurait pas pu y mettre un oeuf ! Mr Dumont, était un des plus fervents supporters ; il était drôlement emballé !
- Que pouvez vous nous dire sur votre collègue, Mr Beaufort ?
- Ce que j'ai toujours admiré chez Mr Beaufort, c'est l'amour qu'il portait aux enfants et à son métier.
Un enfant à problèmes, qui nous faisait les pires sottises, il lui trouvait toujours quelque chose de bon, une qualité (...)
A moi-même, nous dit elle, il m'a transmis le goût de l'amour des enfants et du métier.
Il avait toujours une idée nouvelle en route ; il fallait suivre, et je suivais. Tout le monde ne pouvait pas suivre ...
Mme Beaufort ? Oui, il ne faut pas l'oublier : elle était toujours présente. Il arrivait chez elle 10, 20 personnes, elle les accueillait toutes avec bienveillance.
- Mme Bompard, vous n'êtes pas sur la photo de classe de l'année scolaire 1950-1951 ?
- Effectivement, j'avais 40 de fièvre. J'ai manqué 3 ou 4 jours, et il n'y avait personne pour me remplacer. Ce sont les grands qui surveillaient les petits.
Une mauvaise langue dans le pays (il y en a toujours, même si nous étions respectés et estimés) avait averti l'inspecteur primaire. Celui-ci est arrivé aussitôt sans prévenir (il faut dire que maintenant les inspecteurs primaires préviennent 8 jours avant leur visite ! ) afin de contrôler mes cahiers. »
Il est l'heure de repartir. Mme Bompard nous a parlé de cette époque (60 ans après ! ) sans chercher ses mots, nous énumérant les noms de ses élèves ...